Le deuil : une tristesse à apprivoiser
Deuil
André LAVOIS
01 décembre 2022
Tourner la page du chagrin après la mort d’un être cher est un processus complexe, sinueux et à durée (très) variable.
Dans os sociétés trop pressées, le processus de deuil apparaît souvent escamoté, les endeuillés sentant qu’il vaut mieux camoufler cette tristesse plutôt que de la faire partager à leur entourage. D’autres sont tout simplement incapables de cacher leur peine, et leur accablement profond à la suite de la disparition d’un être cher commence à être mieux compris. D’où l’émergence de nouveaux diagnostics comme le deuil prolongé, ou deuil pathologique, qui ne font pas nécessairement consensus.
Pour explorer ces questions délicates, L’actualité a discuté avec Valérie Bourgeois-Guérin, professeure au Département de psychologie de l’UQAM.
On entend de plus en plus parler de « deuil prolongé » ou « deuil pathologique ». De quoi s’agit-il ?
Selon la version révisée du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, communément appelé le DSM-5, que publie l’Association américaine de psychiatrie, ce deuil se caractérise d’abord par son intensité dans le temps. Il dure plus de 12 mois pour les adultes et plus de 6 mois pour les enfants et les adolescents. Cela provoque des difficultés à fonctionner, au travail ou avec son entourage, jusqu’à éprouver une immense solitude. La personne peut même vivre dans le déni, refusant par exemple d’admettre qu’un être cher est décédé. Évidemment, comme tous les diagnostics, celui-ci a un aspect négatif potentiel : en accolant cette étiquette à certaines personnes, on peut laisser croire que tout deuil de plus de 12 mois est forcément pathologique.
De façon plus générale, comment décrit-on le deuil ?
On retrouve deux grandes définitions : certains voient le deuil comme une réaction après un décès, et d’autres, comme une réponse à toute perte significative, telle une rupture. Ces deux définitions sont pertinentes, mais j’apprécie surtout la deuxième, car elle tient compte du fait que si la perte n’est pas significative, aucun processus de deuil n’est enclenché. Les liens familiaux ne prédisent pas non plus l’intensité des sentiments : on peut éprouver plus de peine après la mort d’une voisine qu’on considérait comme une amie qu’après celle d’un frère que l’on voyait peu.
Les chercheurs s’entendent pour dire que le processus dure généralement un an, mais cela dépend bien sûr du lien d’attachement avec la personne décédée et du contexte dans lequel il s’inscrit. Pensons par exemple à la pandémie actuelle : pendant les confinements, les rituels funéraires ont été expéditifs ou interdits.
Puisque les congés accordés aux personnes endeuillées sont très courts, beaucoup de gens croient que c’est l’affaire de quelques semaines. On entend aussi souvent des commentaires du genre : « Passe à autre chose », « Donne du sens à ta perte », « Pense positif »… Les endeuillés reçoivent ainsi le message qu’ils ne doivent pas s’attarder à faire partager leur peine, alors que ça aide à traverser le deuil.
Notre culture nie encore beaucoup la mort et la souffrance, qui font pourtant partie de la vie et auxquelles nous allons tous faire face un jour. On doit donc reconnaître le fait qu’il s’agit d’un processus qui prend du temps et qu’il ne faut pas le précipiter. L’ampleur des émotions diminue petit à petit, ce qui ressemble à n’importe quel processus de guérison.
Quelles sont les principales caractéristiques du deuil ?
Les émotions ne suivent pas une trajectoire linéaire ; elles sont complexes, diversifiées, contradictoires. Par exemple, les proches aidants qui perdent la personne dont ils s’occupaient peuvent ressentir à la fois de la peine et un sentiment de soulagement qui engendre souvent de la culpabilité. Les endeuillés par suicide se sentent aussi parfois coupables. Même dans le cas d’une mort naturelle, on peut regretter certaines paroles ou actions, ou encore s’en vouloir de ne pas avoir su faire un geste au bon moment avant le décès d’un proche. Autre élément : les dates significatives, comme un anniversaire ou le jour d’un décès, suscitent de la peine, laquelle peut également être réactivée à tout moment par une musique, un souvenir, etc. Lorsque les émotions ne sont ni trop fortes ni envahissantes, il n’y a rien d’anormal, au contraire. Cultiver le souvenir d’une personne que l’on a perdue va nous aider dans le processus de deuil.
Pour certains, être en deuil équivaut à une dépression. Est-ce vraiment le cas ?
Le deuil survient après une perte, alors que la dépression peut arriver de façon sournoise, à tout moment, sans cause précise. Quand la tristesse s’avère intense, on confond parfois le deuil avec la dépression. Chez les endeuillés, malgré cette tristesse, des moments de joie ou de soulagement sont possibles, même s’ils ne durent que quelques secondes ou quelques minutes au début du processus. Du côté des dépressifs, la tristesse demeure constante. On remarque également qu’ils sont davantage dans les ruminations, alors que les endeuillés dirigent leurs pensées vers la personne décédée. C’est important que les gens sachent qu’une tristesse intense pendant deux ou trois semaines n’équivaut pas à une dépression.
Est-ce que la médication peut être un bon outil pour favoriser le processus de deuil ?
Les médecins et les psychiatres doivent être prudents et bien évaluer la souffrance vécue. Dans certains cas, les antidépresseurs peuvent être une bonne option si la personne est suicidaire ou a temporairement besoin de quelque chose qui va l’aider à retrouver un peu d’énergie, mais il faut que ce soit accompagné d’une thérapie. Si le médicament ne sert qu’à engourdir le mal, il ne fait que reporter le processus de deuil ; une fois que l’on cesse la médication, tout cela peut ressurgir. Cela dit, pour la majorité des gens, traverser un deuil peut se faire sans nécessairement avoir besoin d’un soutien professionnel.
Dans os sociétés trop pressées, le processus de deuil apparaît souvent escamoté, les endeuillés sentant qu’il vaut mieux camoufler cette tristesse plutôt que de la faire partager à leur entourage. D’autres sont tout simplement incapables de cacher leur peine, et leur accablement profond à la suite de la disparition d’un être cher commence à être mieux compris. D’où l’émergence de nouveaux diagnostics comme le deuil prolongé, ou deuil pathologique, qui ne font pas nécessairement consensus.
Pour explorer ces questions délicates, L’actualité a discuté avec Valérie Bourgeois-Guérin, professeure au Département de psychologie de l’UQAM.
On entend de plus en plus parler de « deuil prolongé » ou « deuil pathologique ». De quoi s’agit-il ?
Selon la version révisée du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, communément appelé le DSM-5, que publie l’Association américaine de psychiatrie, ce deuil se caractérise d’abord par son intensité dans le temps. Il dure plus de 12 mois pour les adultes et plus de 6 mois pour les enfants et les adolescents. Cela provoque des difficultés à fonctionner, au travail ou avec son entourage, jusqu’à éprouver une immense solitude. La personne peut même vivre dans le déni, refusant par exemple d’admettre qu’un être cher est décédé. Évidemment, comme tous les diagnostics, celui-ci a un aspect négatif potentiel : en accolant cette étiquette à certaines personnes, on peut laisser croire que tout deuil de plus de 12 mois est forcément pathologique.
De façon plus générale, comment décrit-on le deuil ?
On retrouve deux grandes définitions : certains voient le deuil comme une réaction après un décès, et d’autres, comme une réponse à toute perte significative, telle une rupture. Ces deux définitions sont pertinentes, mais j’apprécie surtout la deuxième, car elle tient compte du fait que si la perte n’est pas significative, aucun processus de deuil n’est enclenché. Les liens familiaux ne prédisent pas non plus l’intensité des sentiments : on peut éprouver plus de peine après la mort d’une voisine qu’on considérait comme une amie qu’après celle d’un frère que l’on voyait peu.
Les chercheurs s’entendent pour dire que le processus dure généralement un an, mais cela dépend bien sûr du lien d’attachement avec la personne décédée et du contexte dans lequel il s’inscrit. Pensons par exemple à la pandémie actuelle : pendant les confinements, les rituels funéraires ont été expéditifs ou interdits.
Puisque les congés accordés aux personnes endeuillées sont très courts, beaucoup de gens croient que c’est l’affaire de quelques semaines. On entend aussi souvent des commentaires du genre : « Passe à autre chose », « Donne du sens à ta perte », « Pense positif »… Les endeuillés reçoivent ainsi le message qu’ils ne doivent pas s’attarder à faire partager leur peine, alors que ça aide à traverser le deuil.
Notre culture nie encore beaucoup la mort et la souffrance, qui font pourtant partie de la vie et auxquelles nous allons tous faire face un jour. On doit donc reconnaître le fait qu’il s’agit d’un processus qui prend du temps et qu’il ne faut pas le précipiter. L’ampleur des émotions diminue petit à petit, ce qui ressemble à n’importe quel processus de guérison.
Quelles sont les principales caractéristiques du deuil ?
Les émotions ne suivent pas une trajectoire linéaire ; elles sont complexes, diversifiées, contradictoires. Par exemple, les proches aidants qui perdent la personne dont ils s’occupaient peuvent ressentir à la fois de la peine et un sentiment de soulagement qui engendre souvent de la culpabilité. Les endeuillés par suicide se sentent aussi parfois coupables. Même dans le cas d’une mort naturelle, on peut regretter certaines paroles ou actions, ou encore s’en vouloir de ne pas avoir su faire un geste au bon moment avant le décès d’un proche. Autre élément : les dates significatives, comme un anniversaire ou le jour d’un décès, suscitent de la peine, laquelle peut également être réactivée à tout moment par une musique, un souvenir, etc. Lorsque les émotions ne sont ni trop fortes ni envahissantes, il n’y a rien d’anormal, au contraire. Cultiver le souvenir d’une personne que l’on a perdue va nous aider dans le processus de deuil.
Pour certains, être en deuil équivaut à une dépression. Est-ce vraiment le cas ?
Le deuil survient après une perte, alors que la dépression peut arriver de façon sournoise, à tout moment, sans cause précise. Quand la tristesse s’avère intense, on confond parfois le deuil avec la dépression. Chez les endeuillés, malgré cette tristesse, des moments de joie ou de soulagement sont possibles, même s’ils ne durent que quelques secondes ou quelques minutes au début du processus. Du côté des dépressifs, la tristesse demeure constante. On remarque également qu’ils sont davantage dans les ruminations, alors que les endeuillés dirigent leurs pensées vers la personne décédée. C’est important que les gens sachent qu’une tristesse intense pendant deux ou trois semaines n’équivaut pas à une dépression.
Est-ce que la médication peut être un bon outil pour favoriser le processus de deuil ?
Les médecins et les psychiatres doivent être prudents et bien évaluer la souffrance vécue. Dans certains cas, les antidépresseurs peuvent être une bonne option si la personne est suicidaire ou a temporairement besoin de quelque chose qui va l’aider à retrouver un peu d’énergie, mais il faut que ce soit accompagné d’une thérapie. Si le médicament ne sert qu’à engourdir le mal, il ne fait que reporter le processus de deuil ; une fois que l’on cesse la médication, tout cela peut ressurgir. Cela dit, pour la majorité des gens, traverser un deuil peut se faire sans nécessairement avoir besoin d’un soutien professionnel.
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